Le plus proustien des jardins parisiens ne figure pas dans "À la recherche du temps perdu". On y voit les Champs-Élysées, les Buttes-Chaumont, Bagatelle et le Trocadéro, mais du Luxembourg il n’est pas directement question.
De tous les parcs de la capitale, le Luco est pourtant celui où souffle le plus l’esprit de la "Recherche". Pas une sculpture, ou presque, qui ne fasse écho à quelque passage du roman ! Dans les allées du Luxembourg, comme les parfums, les couleurs et les sons du poète, les statues et les rêveries du lecteur se répondent.
L’expérience vaut d’être tentée. Sur l’une de ces chaises fameuses, asseyez-vous un moment en face de George Sand : vous voilà emporté dans une petite chambre, un soir, du côté de Combray, avant d’être entraîné dans la bibliothèque du prince de Guermantes. Installez-vous devant le Marchand de masques, c’est le kaléidoscope de la littérature qui vous donne le vertige.
Quel plaisir d’apercevoir, comme dans la vraie vie, la dame de Nohant à deux pas de Flaubert et Stendhal !
Bernard Soupre peint le Luxembourg depuis trente ans. Ce sont d’abord les chaises, d’un genre longtemps unique, qui ont inspiré son pinceau. On les retrouve dans les "Mémoires de chaises au jardin du Luxembourg", son livre consacré aux grands auteurs qui ont évoqué le parc.
Ici, c’est le parc qui évoque les grands auteurs. Bernard Soupre, lecteur gourmand et parfois farceur d’"À la recherche du temps perdu", s’est livré à l’expérience du dialogue avec les statues, en artiste se jouant des anachronismes – tel le narrateur. De cette conversation intérieure est née l’idée des "Mémoires de Proust au jardin du Luxembourg". Éclairage de la Recherche hors des sentiers battus pour le connaisseur. Entrée en matière pittoresque pour le promeneur qui la découvre.
La philosophie, la mythologie, les religions sont-elles les seuls langages dans lesquels on pose des questions existentielles, les seuls dans lesquels on peut interroger notre rapport au monde, aux êtres, aux objets, au temps ? Traits d’amour comme des fulgurances, paroles d’enfance, disparition et réapparition de la figure de la mère, conscience d’un temps qui nous emmène vers le même point, réminiscences d’une culture hébraïque et, toujours présente, l’incision du deuil, telle est la réponse, tels sont les thèmes qui traversent ce recueil. Il est des moments trop poignants pour être dits et d’autres si ténus qu’ils passent inaperçus. C’est ce « trop » et ce « pas assez » que cherche à retracer le Colloque intérieur. Sous la forme de microrécits, de fragments de vie où le cocasse côtoie parfois le tragique, sont captés les mouvements de la mémoire, fugitifs, inattendus. L’écriture retient l’éphémère, elle garde vivante la trace de ceux qui furent vivants, comme nous. En inscrivant dans les cœurs le détail des gestes passés, les paroles qui furent, la pulsation des minutes, elle transforme la disparition en réapparition.